76 ans après la déclaration universelle des Nations Unies sur les droits de l’homme, quel est le niveau de la prise en compte des droits de tenure foncière et forestière des femmes des communautés autochtones et locales en R.D.Congo ?
Le 10 décembre 2024 marque le 76ème anniversaire d’un des engagements mondiaux les plus marquants dans l’histoire de l’humanité : la déclaration universelle des droits de l’homme adopté depuis 1948 par l’Assemblé Générale des Nations Unies, proclamant les droits de chaque individu en tant qu’être humain sans distinction de sexe ou de race. La quête de l’égalité entre l’homme et la femme reste un sujet incontournable et essentiel, tant en matière socioéconomique qu’environnementale en vue de l’atteinte des Objectifs de développement durable. Ceux-ci considèrent les êtres humains comme étant à la fois les acteurs et les bénéficiaires du développement, tel qu’affirmé par l’agenda 21 de la conférence de Rio en 1992.
La République Démocratique du Congo a ratifié plusieurs instruments juridiques internationaux, régionaux et sous-régionaux relatifs aux droits humains proclamant l’égalité de droits entre l’homme et la femme. Ces ratifications ont poussé le pays à prendre des engagements sur les mesures légales et administratives pouvant permettre à la femme de jouir pleinement de ses droits et accroitre son accès aux organes de gouvernance et de prises de décisions, notamment dans les secteur foncier.
Tout d’abord, il existe un écart entre les lois et leur mise en pratique. En effet, en parcourant le droit écrit congolais, aucune discrimination n’est faite quand à l’accès à la terre. Aucune disposition ne limite l’accès de la femme à la terre. Pourtant, sur le plan pratique, les formes de gouvernance, aussi diverses soient-elles, sont systématiquement plus favorables aux hommes qu'aux femmes. Cependant, la femme, cette actrice responsable de la famille en Afrique, est souvent confrontée à des difficultés d’accès à la terre suite à certains facteurs qui ne sont pas nécessairement légaux. Le pays a inscrit, dans sa Constitution Nationale, le principe de parité et de promotion des droits de la femme en ses Articles 11, 14 et 15, ces lois sont faiblement applicables au sein des instances de prise de décision en milieux ruraux.
Les diagnostics établis par la Coalition des Femmes Leaders pour l’Environnement et Développement Durable (CFLEDD) dans le cadre du projet « Femmes en Action » au, Nord et Sud-Kivu en RDC (des zones au cœur de déstabilisations politiques et communautaires), ont démontré que les jeunes filles et femmes en général et autochtones en particulier n'ont pas accès à la terre et ne sont pas autorisées à engager un processus contractuel d’exploitation des terres, à pratiquer le métayage, à hériter des terres, ou de les obtenir en location. Elles ne peuvent accéder aux terres que par l’intermédiaire d’un homme et ne peuvent signer un contrat d’exploitation des terres qu’avec les autorités coutumières qui détiennent en grande partie lesdites terres ; d’où la loi coutumière dite « Muke Hawezi Weza » (la femme ne peut pas) prévaut, donnant aux hommes le contrôle absolu et l'accès aux ressources financières.
En matière de partage des espaces, les héritiers de la première catégorie reçoivent les trois quarts de l’héritage, le partage s’opère de manière équitable entre les hommes seulement et par représentation entre leurs descendants. Les terres moins fertiles et accessibles sont généralement concédées aux hommes et les droits fonciers des agricultrices sont majoritairement des droits précaires. C’est le droit d’usage ou d’usufruits.
Si la femme est issue d’un lien polygamique ou si elle n’a pas eu d’enfant dans son couple, elle est butée aux pesanteurs culturelles pour accéder à la terre. Bien qu’elle soit majoritaire dans l’exploitation agricole, elle n’a aucune emprise effective sur la terre. A cela des normes socio-culturelles ( masculinité toxique) ancrées sur des traditions qui limitent et impactent négativement les activités agro-forestières des femmes et filles, les aléas des changements climatiques, et les déplacements des populations suite à des conflits. Des normes nocives en matière de relations entre les sexes affectent de manière disproportionnée les femmes et les filles et contribuent directement à des violations de leurs droits, en ce qui concerne notamment l'éducation, la santé et les droits d’accès aux organes de déscisions. Ces violations représentent un obstacle majeur à l'égalité hommes-femmes.
Le non-respect de la loi en matière foncière et successorale pourrait également être envisagé comme un autre élément qui freine le droit d'accès de la femme congolaise à la terre. En dépit de beaux textes juridiques, la femme est toujours discriminée par la coutume qui est d’application, quand bien elle est en contradiction avec la loi.
Femmes en Action, au cœur des actions qui garantissent le droit d’accès de la femme et filles à la terre au Nord et Sud Kivu.
Le projet Femmes en Action, initié par le consortium de la Fondation Paul Gérin-Lajoie (PGL) et du Jane Goodall Institute Canada, (JGI Canada) grâce aux financements d’Affaires mondiales Canada, travaille en collaboration avec les organisations de la mise en œuvre de ce projet en RDC (CFLEDD, Caritas Goma, plateforme Diobass, JGI-RDC et PIFEVA). Ce projet met en place des activités de formations, de sensibilisation, de renforcement des capacités, d'éducation et de plaidoyer dans les zones touchées par les conflits armés dont, Walikale, Mwenga, Kabare et Kalehe au Nord et Sud Kivu. Ces activités visent la promotion de l’égalité de genre et des droits humains en vue d’améliorer les droits des jeunes filles et des femmes notamment autochtones à posséder les terres et les ressources forestières à leur bénéfice ; de participer à la réduction des pratiques coutumières qui bloquent la reconnaissance des droits de propriété des jeunes filles, des femmes autochtones et locales à détenir des terres et des ressources forestières ; d’améliorer des conditions de vies courantes des femmes et filles en renforçant leurs capacités de gestion durable des ressources naturelles avec l’approche des solutions fondées sur la nature.
Le projet vient également répondre aux enjeux spécifiques du vécu quotidien des femmes et filles face aux effets des changements climatiques, pour leur permettre à la fois de s’adapter aux aléas climatiques ayant un impact sur leurs moyens de subsistance, mais aussi de renforcer leur capacité à défendre leurs droits, tant dans le domaine foncier que forestier.
Conclusion
Le conflit mortel qui a déjà pris la vie de milliers de personnes, à travers la violence sexuelle et la violence basée sur le genre, ou encore l’analphabétisme, ont affecté la vie de nombreuses communautés et personnes, dont les plus vulnérables sont les femmes et filles en milieux ruraux. Les accords de paix n’ont pas empêché les groupes armés de continuer à utiliser la violence comme armes des guerres contre la vie des filles et femmes. Cette situation ne permet pas à la femme congolaise en général et surtout celle du Nord et Sud Kivu, y compris de l’Ituri en particulier, de jouir pleinement des mêmes droits socio-économiques, et culturels que l’homme.
Le bilan reste mitigé sur l’accès effectif aux droits de tenure foncière et forestière des femmes. Le droit de propriété est un droit réel et inaliénable qui est reconnu à tout être humain dont également la femme qui doit en être détentrice. Sur ce, l’État congolais a l’obligation de veiller sur l’applicabilité de la politique foncièredu pays pour que les droits fonciers des femmes et jeunes filles soient reconnus. Il est crucial de renforcer la cohésion des communautés, où toutes les parties prenantes, (les chefs coutumiers, les chefs des terres, les leaders locaux d’opinion, les autorités politico-administratives, et les autorités religieuses) s’engagent à sanctionner tous les stéréotypes limitants les droits à la tenure foncière et forestière des femmes et filles en favorisant une approche globale et inclusive pouvant améliorer les conditions de vie des femmes et filles congolaises. Ce type d’approche est essentielle pour lutter collectivement contre les inégalités de genre et atteindre les Objectifs de développement durable.
Perpétue Boku.